Le coaching orienté solution : un levier stratégique pour les dirigeants


Un article rédigé par :
Michèle PARIS – Directrice Talent Management – Sémaphores – in
Dans un monde où la complexité est devenue la norme, les dirigeants sont confrontés à des défis sans précédent. La volatilité des marchés, l’accélération technologique, les injonctions paradoxales entre performance économique et responsabilité sociale, ainsi que la quête de sens des collaborateurs transforment en profondeur l’exercice du pouvoir. Naviguer dans un environnement VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu) exige bien plus que de la technicité : cela requiert une posture de leader capable de penser, ressentir et agir différemment.
Le rôle du dirigeant ne se limite plus à décider et contrôler. Il devient stratège du sens, architecte de la confiance, porteur de vision et catalyseur d’engagement. Cette charge mentale et émotionnelle est immense, d’autant plus qu’elle s’exerce souvent dans la solitude. C’est dans ce contexte qu’émerge la pertinence du coaching orienté solution, non comme une simple méthode de résolution de problèmes, mais comme un véritable espace stratégique de recentrage, de création et de transformation pour les dirigeants.
Une approche enracinée dans la pensée systémique de Gregory Bateson
Gregory Bateson, penseur majeur de la systémique et de la cybernétique, a profondément influencé notre manière de penser les interactions humaines et les processus de changement. À ses yeux, « le plus grand changement est un changement de perception » : voir différemment, c’est déjà agir différemment. Nous ne percevons pas la réalité de manière objective, mais à travers des cadres de perception qui structurent notre compréhension du monde. Modifier ces cadres, c’est ouvrir la porte à des changements plus profonds et durables.
Changer de perception, c’est transformer le cadre dans lequel nous inscrivons un problème. C’est passer d’une lecture déficitaire et causale à une lecture dynamique et relationnelle. Le coaching orienté solution facilite ce déplacement du regard : il aide le dirigeant à interroger ses certitudes, à faire évoluer ses catégories de pensée, et à adopter une position méta, qui permet d’observer le système plutôt que de rester enfermé dans le symptôme.
Bateson distingue deux niveaux de changement : le changement de type I, qui consiste à modifier les éléments à l’intérieur d’un système sans en altérer la structure, et le changement de type II, transformation plus radicale, qui survient lorsque le système lui-même évolue — une métanoïa. C’est précisément ce type de changement qu’accompagne le coaching orienté solution : il ne cherche pas à résoudre un problème en l’analysant indéfiniment, mais à changer le regard que porte le dirigeant sur ce problème, à lui faire explorer d’autres cartes du territoire.
Dans cette perspective, le problème n’est pas un élément isolé à résoudre, mais le produit du système de relations et de significations dans lequel il émerge. C’est pourquoi, le coaching consiste en une investigation centrée sur les interactions : comment les actions du dirigeant, son mode de communication, ses intentions implicites ou explicites, peuvent paradoxalement entretenir, voire aggraver, le problème qu’il souhaite résoudre ?
Quand la solution nourrit le problème
Un des apports les plus puissants de la pensée systémique appliquée au coaching est de montrer que, bien souvent, la solution tentée est en réalité le problème. En d’autres termes, la stratégie adoptée par le dirigeant pour résoudre une difficulté peut, à son insu, contribuer à sa persistance.
Prenons un exemple réel. Une dirigeante d’un Groupe industriel constate un manque d’implication de ses équipes dans les projets de transformation. Elle organise alors davantage de comités de pilotage, renforce les process de validation, et centralise les prises de décision pour « garantir la rigueur ». Pourtant, plus elle encadre, moins les équipes s’engagent. Durant une séance de coaching, un changement de perception émerge : et si ce besoin de contrôle, perçu comme une solution, était en fait interprété par les équipes comme une marque de défiance ? Invitée à réaliser une expérimentation (dite à 180°), qui consiste à s’appuyer sur ses collaborateurs et à leur offrir des espaces de co-construction, elle adopte un nouveau cadre, celui de la confiance responsabilisante. Les résultats sont immédiats : implication, fluidité, initiative, et grâce à cette « expérience émotionnelle correctrice », la dirigeante de ce Groupe industriel a exploré de nouveaux comportements prédictifs d’efficacité qu’elle pourra ancrer de manière durable.
Dans ce cas, le système s’autoalimente et le remède devient le poison. Le levier n’est donc pas « d’améliorer » la solution initiale, mais de voir le problème autrement.
Le coaching orienté solution invite ici à une prise de recul essentielle. Il ne s’agit plus de faire « plus de la même chose », mais de repérer les boucles d’interaction, d’explorer les exceptions (les moments où le problème est absent ou atténué), et de reconstruire une nouvelle grammaire relationnelle. Cela nécessite un véritable travail d’investigation systémique :
- Quelle est la fonction du comportement problématique dans le système ?
- Comment le système actuel le maintient-il, consciemment ou non ?
- Quelles sont les croyances sous-jacentes qui nourrissent la solution inefficace ?
- Quelles interactions clés peuvent être modifiées pour créer un effet domino ?
Changer de perception, ici, signifie interroger non seulement le problème, mais la manière dont il est perçu, formulé, et maintenu par les pratiques existantes du dirigeant. Ce changement de cadre ouvre la voie à des solutions plus créatives, souvent contre-intuitives, mais puissamment transformatrices.
Quels sont les principes fondamentaux du coaching orienté solution ?
L’approche orientée solution repose sur des principes simples mais puissants :
- Considérer que le changement est toujours possible, même dans les situations les plus figées.
- Cesser de chercher la cause du problème pour s’intéresser à ce qui fonctionne déjà, même partiellement.
- Identifier les exceptions positives et les amplifier.
- Co-construire un futur désirable, concret et atteignable.
- Valoriser l’expérimentation de petits pas porteurs de succès comme leviers de transformation.
- Responsabiliser sans culpabiliser, dans une posture non-normative et bienveillante du coach.
Le coach, dans cette perspective, n’est pas un expert qui apporte des solutions prêtes à l’emploi. Il est un partenaire du dirigeant qui facilite l’émergence de solutions déjà présentes, mais souvent invisibles, dans son environnement. Par un questionnement fin et une écoute stratégique, il agit comme un miroir intelligent qui révèle des angles morts, met en lumière les ressources oubliées, et réactive les dynamiques de croissance.
Une approche pragmatique au service d’un leadership renouvelé
Le coaching orienté solution parle le langage des dirigeants : celui de l’impact, de la clarté et de l’efficacité. Il ne s’agit pas de se perdre dans des explorations interminables, mais de produire des effets tangibles, mesurables, et adaptés à son contexte spécifique. Loin d’une approche dogmatique, cette méthode s’ajuste à la réalité complexe et mouvante du terrain.
En renforçant l’autonomie, la lucidité et la capacité d’adaptation des dirigeants, le coaching orienté solution devient un levier de développement personnel. Il favorise un rapport plus fluide à l’incertitude, une posture plus mature face à la complexité, et une plus grande liberté intérieure dans la prise de décision.
Un levier systémique d’évolution organisationnelle
En reconnectant les dirigeants à leurs ressources, à leurs valeurs et à leur capacité à générer des micro-changements significatifs, cette approche permet également d’agir en profondeur sur les organisations elles-mêmes. Le dirigeant, en modifiant son regard et ses pratiques, devient un point d’inflexion pour l’ensemble du système. Comme dans tout système complexe, un petit changement à un endroit stratégique peut engendrer des transformations majeures ailleurs.
Ainsi, le coaching orienté solution s’inscrit dans une logique écologique du changement : il respecte l’équilibre des systèmes, stimule la coopération, et crée les conditions d’un ajustement durable. En cela, il est aussi un levier puissant de déploiement des démarches RSE, d’innovation managériale et d’intelligence collective.
Sortir de l’isolement, retrouver un espace stratégique de lucidité
Le pouvoir isole. À mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiques, les espaces de parole authentique se raréfient. Le coaching offre alors un cadre sécurisé, confidentiel et sans enjeu politique, où le dirigeant peut enfin déposer ses doutes, clarifier ses intuitions, et retrouver sa boussole intérieure. Cet espace devient un laboratoire de sens, un réservoir de lucidité et un tremplin d’audace.
Conclusion : penser autrement pour agir autrement
Le coaching orienté solution, inspiré de la pensée de Gregory Bateson, ne se contente pas d’accompagner un dirigeant dans la résolution ponctuelle de difficultés. Il l’invite à une transformation de sa manière de percevoir, d’interagir et de piloter. Dans un monde où les recettes d’hier ne suffisent plus, cette approche représente une voie puissante vers un leadership plus conscient, plus agile et plus humain.
Comme le dit Peter Drucker : “La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer.” Et si, pour créer cet avenir, il suffisait d’apprendre à voir autrement ?