Compétences
et séniorité


Un article rédigé par :
Patrice GUÉZOU – Directeur de l’offre ” Développement du capital humain” – Sémaphores – in
La séniorité est associée à l’expérience, elle-même reliée à la compétence, voire à l’expertise, et ce de manière quasi spontanée. Ainsi, il semble aller de soi que la présence des seniors dans l’entreprise représente un atout en matière de transmission des savoirs et des savoir-faire. C’est le cas dans l’Accord national interprofessionnel du 14 novembre 2024 en faveur de l’emploi des salariés expérimentés, tout comme dans le projet de loi soumis au Conseil des ministres du 7 mai 2025, intitulé « Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social ».
Si les notions de compétence, d’expérience et de séniorité peuvent être rapprochées, encore faut-il réunir certaines conditions : la mise en œuvre de politiques, de pratiques et d’outils appropriés au sein des organisations ou avec leur appui.
Les théories de l’apprentissage mettent en avant différentes manières d’apprendre. La plus fréquemment mentionnée, peut-être la plus pratiquée, est celle de l’apprentissage par mimétisme. J’observe faire, je fais à mon tour, sous le regard du maître ou non, je réitère le geste, je corrige étape après étape. Je sais faire. La plupart du temps, à l’issue de ce cheminement, j’ai acquis un savoir-faire opératoire, efficace, économe en énergie à force de répétition et de correction, que je peux reproduire une fois placé dans des conditions similaires ou très proches. J’ai appris à faire face à un certain type de situation, à affronter certains obstacles. En cela, je peux être reconnu comme un bon professionnel.
Pour autant, je ne suis pas ipso facto en situation de pouvoir restituer, de savoir transmettre cette expérience. Professionnels de l’accompagnement des reconversions ou évolutions professionnelles, nous en faisons régulièrement le constat. Nombreuses sont les personnes dotées d’une longue expérience professionnelle, parfois variée, qui sont pourtant dans l’incapacité d’en extraire les apprentissages successifs et multiples. Elles ont vécu des situations professionnelles et ont su y faire face. Elles n’ont pas eu l’opportunité d’en tirer profit, d’en extraire des principes, des règles, des enseignements transposables. Et ce constat ne vaut pas seulement pour des métiers dits d’exécution.
En matière d’apprentissage, par-delà le vécu professionnel, par-delà l’expérience vécue, on a coutume de mettre en exergue aussi la capacité à transmettre, entendue comme la démonstration d’une expérience intériorisée, appropriée, maîtrisée, susceptible d’être restituée et partagée. Dans le cadre du dispositif dit Action de Formation En Situation de Travail (AFEST), on évoque ici la compétence clé de réflexivité. La réflexivité est cet art du questionnement de la pratique, propice à associer gestes et mots, engagement et prise de distance, pratiques et théories. J’acquiers un degré supérieur de maîtrise de mon savoir-faire en l’enrichissant d’une compréhension intérieure de ses conditions de réalisation, d’une analyse de l’enchaînement des causes et des effets qui le constitue. Telle est la posture attendue d’un maître d’apprentissage, d’un enseignant, d’un expérimenté. Il n’est pas — ou pas seulement — la somme de ses expériences cumulatives, successives, à l’image des lignes sur un CV ; il habite le métier maintes fois exercé, il possède de manière consciente un savoir-faire multidimensionnel, il domine l’expérience avec « lucidité »[1], pour reprendre François Jullien.
Quels enseignements en matière de gestion des trajectoires professionnelles — et plus particulièrement celle des seniors dans les entreprises — tirons-nous de cela ?
Une généralité, tout d’abord. L’expérience, entendue sous l’angle cumulatif des années d’activité, n’a pas de valeur en soi. Elle peut certes exprimer une capacité de résistance, voire une certaine résilience, selon les affres vécues au sein de différentes organisations. Mais elle ne prend toute sa valeur, elle ne devient compétence, qu’à la condition d’avoir tiré leçon des situations et des rencontres, d’avoir eu l’opportunité et pris le temps de les observer, de les déconstruire pour mieux en saisir les mécanismes. Les années d’expérience ne vous transforment donc pas mécaniquement en expérimenté.
De cela, nous retirons ensuite deux engagements complémentaires.
Le premier, en faveur du développement des compétences tout au long de la vie. N’attendons pas d’être devenus seniors pour nous préoccuper d’apprendre, puis de transmettre — étant entendu que la transmission de son savoir-faire ou de ses connaissances est la meilleure façon d’apprendre, par la réflexivité qu’elle exige. Sans basculer dans une consommation irraisonnée d’actions de formation, il importe, du point de vue du salarié, de se saisir de toutes les occasions d’apprendre, au sein comme en dehors de l’environnement professionnel, et, du point de vue de l’employeur, de contribuer continuellement au développement de l’employabilité de son corps social. Les intérêts des uns et des autres convergent en la matière. Ceci explique notamment le consensus social au sein des entreprises à propos du plan de développement des compétences.
Le deuxième engagement, tout aussi fondamental, milite en faveur de l’accroissement de l’accès à la formation des seniors eux-mêmes. La population senior accède moins à la formation professionnelle[2], tant en raison de propositions moins nombreuses que par auto-censure. Un tel constat freine l’émergence du statut de travailleur expérimenté, que l’on attribue pourtant trop facilement aux seniors. Le senior peut apprendre, c’est une évidence. Mais prendre soin de son expérience, en en extrayant toute la substance, tous les enseignements au fil des années et des situations, est une condition indispensable de son « devenir expérimenté », tel que le texte de loi le désigne. Si le senior est envisagé comme un relais interne, un socle de connaissances et de savoir-faire de l’entreprise, il doit être accompagné pour conquérir cette posture. On ne naît pas pédagogue, on le devient.
L’accompagnement de la valorisation de l’expérience et du patrimoine des compétences des seniors mérite d’être renforcé. Le bilan de compétences ou l’accompagnement VAE ouvrent des voies méthodologiques pour y faire face. Cela ne constitue pas pour autant une politique à la hauteur des enjeux liés à l’augmentation du taux d’emploi des seniors.
Aussi, dans un souci d’employabilité individuelle et collective — au bénéfice des seniors, mais pas seulement —, nous invitons les acteurs sociaux à s’engager selon deux axes complémentaires :
Tout d’abord, à ce que les enjeux de développement des compétences soient régulièrement posés, voire négociés entre les partenaires sociaux. C’est, selon nous, une condition sine qua non pour que l’expérience devienne une sécurité professionnelle.
Ensuite, à l’image des initiatives prises par nombre d’entreprises à forte valeur ajoutée technologique et dont les connaissances constituent un actif clé, nous promouvons le développement de démarches de knowledge management, au travers d’instituts internes des savoir-faire et des connaissances, distincts ou associés à des CFA d’entreprise ou à des observatoires des métiers.
Devenir compétent, maîtriser et transmettre une expertise ne relèvent plus seulement d’une démarche individuelle ou de fin de carrière, mais d’un projet collectif, d’un atout stratégique et d’une ambition partagée entre générations.
Sémaphores, à travers le Groupe Alpha, s’engage en faveur de l’emploi des seniors.
Dans cette continuité, nous avons noué un partenariat avec Seniors Force Plus.
Nous avons également développé une offre conseil à 360°
pour optimiser l’évolution professionnelle des salariés seniors et leur organisation.
Pour en savoir plus:
[1] François Jullien, Vivre enfin, avril 2025, Éditions Plon.
[2] Source : Unédic – Accès à l’emploi durable pour les allocataires seniors